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La caverne de Platon et la lampe d’Aristote
Stephen Sack, dernières aventures de l’image photographique chez Fred Lanzenberg
GILLEMON,DANIELE
Puisque d’entrée de jeu, ce photographe se dit plus à l’aise dans les galeries d’art consacrées à la peinture, voyons l’oeuvre de Stephen Sack comme ce qu’elle est bel et bien, un rebondissement particulièrement heureux de cette longue fascination des deux langages l’un pour l’autre.
Loin d’être un nouveau venu dans le paysage de l’art contemporain, cet Américain qui vit et oeuvre à Bruxelles depuis longtemps, apparaît comme un outsider. Mais il a su éviter les carences qui sont parfois le sort des remises en question et ne jamais perdre de vue les valeurs significatives et poétiques de l’image.
Ses derniers « tableaux », à nouveau des macrophotographies au départ de reliques du passé (plaques de verre peintes à la main à l’usage des lanternes magiques) ont quelque chose de réjouissant, de joyeusement baroque qui étonne tant le souvenir qu’on a de sa démarche se cantonne dans les pâleurs évanescentes des demi-jours, des brumes et brouillards enveloppant la matière altérée par le temps, plutôt que dans ces couleurs séductrices et parfois flamboyantes.
Dès le début, loin des photographies voulues pour elles-mêmes et destinées à ceux qui, en collectionnant se positionnent dans l’art d’aujourd’hui, ses oeuvres eurent un caractère d’événement, de manifestation, de phénomène, alertant le regard et le rendant vigilant à cette capacité des objets créés par l’homme à se décomposer dans le souvenir .
La question qui hante l’oeuvre et la traverse de bout en bout, porte sur tout ce que nous ne voyons pas ou ne voyons plus, un peu comme si l’oeil, à l’instar du cerveau et de l’oublieuse mémoire, avait développé ses performances dans un sens au détriment de tous les autres.
Car ce photographe, qui n’est photographe que par occurrence et dont la caméra est seulement un outil, ne cherche pas, comme tant de ses confrères à rendre compte ou à témoigner, à dresser le catalogue du bel aujourd’hui. Mais bien à mesurer, à explorer l’écart entre l’objet et son aura, entre le réel et la fantasmagorie, à percer, comme le dit
joliment l’un de ses préfaciers new-yorkais, « l’obscurité de la grotte de Platon avec la lampe d’Aristote », à savoir l’appareil photo.
Pour en revenir à la couleur qui embrase si bien ce nouvel épisode, c’est très progressivement que Stephen Sack a effectué ce passage depuis les noirs et blancs des débuts de sorte que le travail actuel, s’il surprend, est tout de même intimement lié à ce qui précède.
Fasciné, d’abord, par les incisions et les inscriptions qui dorment dans les patines de la matière (pierre des tombes, bronze et cuivre des anciennes monnaies et des médailles…), il les photographie selon un procédé qui ne suppose aucune intervention sur le tirage, mises à part quelques « corrections ».
Ce qui l’intéresse, c’est la révélation que la macrophotographie ou la microphotographie permettent (le cycle des Gargouilles vues à travers le microscope) en métamorphosant l’objet de base sans en perdre toutefois complètement le sens ni la configuration.
Parfois, il renonce à ces procédés et se contente de photographier le dos tavelé et vaguement imprimé de gravures anciennes comme dans la très belle série dédiée à l’Histoire Naturelle de Buffon, pâles et magiques décoctions des planches originales qu’il alla débusquer sur place, à Montbard en Bourgogne, dans le propre cabinet de travail du naturaliste. Il s’agit donc, toujours, d’un vrai pélérinage aux sources.
Quoi qu’il en soit, et en cela l’oeuvre est bien d’aujourd’hui, Sack s’intéresse à l’envers ou à la face cachée des choses, dilatant, contractant, diluant morphologies et substances de l’objet de départ pour faire affleurer ce qu’il a dans le ventre.
Tirant parti des accidents de surface – poussières, altérations… -, de certains types de lumière, de grossissements ou de réductions, il procède en quelque sorte à l’éclatement des apparences et métamorphose l’objet photographié en images tout à fait nouvelles, surprenantes qui toutefois, et là est leur beauté, se souviennent d’où elle viennent.
Alchimie photographique complexe, elle aboutit à une surface qu’on peut qualifier de picturale et dont la fascination est liée, exactement comme en peinture, aux accords, aux contrastes, aux passages, aux reliefs, aux textures et aux antagonismes (abstraction et figuration, flou artistique et précision scientifique…). Bref, à la révélation parfois spectaculaire en surface de la poésie croupie au fond des choses.
Ainsi la désuète iconographie populaire de ces plaques de verre qui sont à l’origine du cinéma se voit catapultée dans le présent de l’art comme sous l’effet d’un oeil monstrueusement… clairvoyant.
Comme il ne s’agit pas de peintures mais de surfaces photographiques lisses et brillantes, l’on ne sait pas trop où se situer. Stephen Sack cultive cette ambiguïté et cette tension entre valeurs picturales, artisanales, et valeurs virtuelles.
Là, on jurerait un pastel aux accents fauves, ici un bestiaire d’origine romane, là encore, une fantasmagorie à la façon de Man Ray. Bref, dans toute l’exposition, au rez-de- chaussée comme à l’étage, c’est un joyeux tohu bohu de formes et de couleurs dans le temps et l’espace qu’un langage audacieux sauve du passéisme.·